Au milieu de la nuit, les coups de feu [Charlie Blue]

Bon, tout compte fait, il semblait que Charlie ne s'en était pas si mal tirée. Sa proposition malgré son ton peu convaincant avait été acceptée par Vincent. Mais lorsqu'il formula sa réponse et lui demanda si elle souhaitait l'accompagner dans sa chambre ou bien attendre qu'il n'en revienne, elle bugga un chouya. Son esprit plutôt tourné pervers (folle, psychopathe ET nymphomane sur les bords, la Charlie) ne put s'empêcher de se demander ce que signifiait cette proposition. Etait-elle indécemment innocente ou... innocemment indécente ? Ou pour faire plus simple : était-ce une invitation ouverte ou bien Vincent n'avait jamais pensé à cela et ne se rendait pas compte du double sens que pouvaient avoir ses dires ?

Encore une fois, Charlie se retrouvait dans cette réflexion à propos de ce à quoi pouvait bien penser son vis-à-vis. D'ordinaire, elle ne se préoccupait absolument pas de ce genre de choses. D'ordinaire, c'était : sa pomme, sa pomme, sa pomme et encore sa pomme. Et tant pis si la personne à qui elle avait à faire n'était pas sur la même longueur d'onde qu'elle. Si elle avait envie de s'envoyer en l'air avec quelqu'un, peu lui importait que ce quelqu'un ne l'entende pas de cette oreille. Si elle avait envie d'éventrer un péquenot, même sentence. En gros, Charlie avait tendance à appliquer la devise : "ranafoute !" Et pour cause, personne ne comptait pour elle. Personne ne méritait son respect et sa considération. Par conséquent, elle n'en avait rien à faire de blesser, moralement ou physiquement, d'autres êtres humains. Ils étaient là pour son divertissement, rien d'autre. Seule Eloane Helies faisait exception à la règle, mais pour la simple et bonne raison que Charlie avait bien conscience que cette personne, en tant que chef de la Mavros, avait droit de vie et de mort sur elle.

Mais là... Là c'était différent. Il s'agissait d'Alex-Vincent (ou bien Vincent-Alex ?). Sans que ce dernier n'en sache rien, puisqu'il n'était pas au courant du délire de Chalie, il venait de passer à un stade supérieur à celui d'Eloane Helies sur l'échelle des priorités de Charlie. Car elle avait toujours su qu'elle pourrait donner sa vie pour son héros, et si jamais un jour elle devait désobéir à son chef pour lui, et par conséquent subir la punition méritée, elle le ferait. Elle se trouvait pour la toute première fois face à quelqu'un qui passait avant elle.

Par conséquent, elle ne pouvait prendre ses paroles à la légère, ou se servir de lui comme elle l'entendait. Non, surtout pas. Elle ne devait pas déraper. Pas dire de bêtises. Ou quelque chose qui puisse le vexer. Ou pire, le décevoir. Au risque de déclencher une de ses légendaires colères. Car en tant que réincarnation d'Alex, et même s'il n'en avait pas conscience, il portait en lui le caractère du héros de Charlie.

Dès lors, elle lui était entièrement dévouée. Elle serait sa disciple, sa "droog", sa fidèle, sa servante ou son esclave s'il le souhaitait. Il n'avait qu'à demander, elle obéirait.

Dans ce cas, la meilleure réponse, selon elle, était certainement :

- Comme tu veux.

Elle se permit un petit sourire, quelque part entre l'innocence et l'indécence, sa spécialité.

Lorsque Vincent lui signifia de le suivre, Charlie se contenta d'accentuer légèrement son sourire, et trottina devant lui en direction de la sortie. Elle l'attendit à la sortie de la salle d'entraînement. Il la rejoignit et ferma la porte derrière eux. Ils s'avancèrent à travers les couloirs en direction du hall miteux d'où ils pourraient prendre un ascenseur. Soudain, Vincent prit la parole. Charlie ne s'était pas attendue à cela, pensant que Vincent était plutôt du genre silencieux et peu enclin à engager la conversation. C'était tout du moins sa réputation au sein de la Mavros. Aussi, cela lui fit plaisir qu'il cherche à communiquer avec elle. Cela la fit même rougir jusqu'aux oreilles. Heureusement, il faisait très sombre dans ces couloirs, et elle espérait que cela passerait inapperçu, surtout après l'embarras dans lequel elle s'était précédemment mise... Il était temps de reprendre du poil de la bête.

Elle répondit d'une voix plus assurée, bien qu'elle trahissait encore toujours un peu son émotion :

- Hem... J'ai l'impression d'y avoir toujours été. C'est marrant, j'me souviens pas trop de mon enfance.'Fin, ça fait longtemps.

Ils venaient d'arriver devant les ascenseurs. Vincent en appela un en appuyant sur un bouton. Ils attendirent dans un silence pensant. Charlie jeta un coup d'oeil à Vincent et remarqua qu'il la détaillait avec insistance, comme s'il essayait de la passer aux rayons X. Elle détourna vivement le regard, mais elle sentait toujours ses yeux sur elle. Rougissement plus intense. Picotements dans le ventre. C'était à la fois excitant et inquiétant. Dans le genre sensualité vampirique.

Finalement, les portes d'un ascenseur coulissèrent devant eux. Charlie se glissa la première à l'intérieur et alla sa plaquer contre la paroi du fond, afin d'avoir un prétexte pour pouvoir observer Vincent plus à son aise. L'ascenseur démarra, brinquebanlant... pour s'arrêter un étage plus haut. Les portes s'ouvrirent pour laisser entrer quelqu'un d'autre. Un homme, assez âgé, glacial. Il s'arrêta en voyant Vincent, puis son regard s'arrêta sur Charlie, et il se fit encore plus glacial. Charlie soutint son regard, difficilement impressionnée. Elle le connaissait de vue, puisque cela faisait très longtemps qu'elle était à la Mavros, elle avait déjà croisé tout le monde au moins une fois.

Elle détourna son attention de l'espèce de crocodile pour la reporter sur Vincent, et son visage reprit une expression ravie, comme une petite enfant qui aurait tout juste reçu un nouvel ours en peluche.

Lorsque Charlie avait détourné son attention de l'homme pour la reporter sur Vincent, elle constata que ce dernier venait de pâlir un brin. Elle fronça les sourcils. Qu'était-ce donc que cela ? Elle espérait qu'il ne s'agissait que d'un petit barbouillage à l'estomac, ou quelque chose comme ça. Il était inconcevable que son héros soit impressionné par ce vieil homme ! Non, impossible ! Impossible...

Pourtant, il s'agissait bien de cela. Charlie assista à la scène qui se déroulait devant ses yeux avec une rage difficilement contenue. Elle ne savait d'ailleurs pas envers qui elle était le plus en colère : cet homme, qu'elle avait deviné être l'ancien instructeur de Vincent d'après ses propos, ou bien Vincent lui-même, pour s'écraser devant quelqu'un. Mais non, tout compte fait, elle ne pouvait pas en vouloir à celui qu'elle pensait être la réincarnation de son héros. Car, pour elle, il était l'être suprême, donc, quoi qu'il fasse, il avait forcément raison. Ce qui n'empêchait pas qu'elle était furax contre le vieil homme. De plus, elle n'apprécia pas du tout la pique qu'il lui lança. Bon... il n'était pas loin de la vérité, et, comme on dit, il n'y a que la vérité qui blesse. Charlie était en effet réputée pour être une fille facile. Tout du moins l'avait-elle été, car, maintenant qu'elle avait trouvé son Alex-Vincent, terminé les frivolités. Ce soir, elle s'était volontairement ancrée.

Elle bouillait tant de rage qu'elle se sentit céder. Elle allait attaquer. Elle avait déjà esquissé un mouvement pour dégainer sa britva, lorsque le regard de Vincent intercepta le sien. Elle s'arrêta net, lisant son ordre au fond de ses prunelles bleues. Elle baissa la tête et rengaina le poignard dans la canne, affichant la moue boudeuse d'une petite fille à qui l'on aurait refusé un bonbon mais résignée devant l'autorité parentale - en l'occurrence l'autorité "héroïque".

Il se serait agit de n'importe quelle autre personne, elle n'en aurait fait qu'à sa tête, et cela, chacun ayant entendu parler de Charlie le savait. Mais là, encore une fois, les choses étaient bien différentes. Néanmoins, elle se permit un petit "pffff !" dédaigneux, à peine audible, à l'attention de l'instructeur de Vincent. Puis, elle s'appuya de côté contre la paroi de l'ascenseur, de façon à tourner le dos aux deux hommes, considérant qu'il était préférable de ne pas assister à la scène pour éviter qu'elle ne s'énerve tant qu'elle ne puisse plus se contrôler.

Histoire d'essayer de penser à autre chose, elle laissa Basil, son Python, sortir de son sac et venir se lover sur ses épaules. Elle se mit à jouer un peu avec lui, agitant sa main droite devant sa tête triangulaire et le caressant distraitement de l'autre. Pourtant, elle restait attentive à ce qui se déroulait dans son dos, se sentant trop concernée - il s'agissait de son héros tout de même ! - pour ignorer ce qu'il se passait, et prête à intervenir si elle en recevait l'ordre... ou l'autorisation.

Alors que Charlie essayait tant bien que mal de ne pas prêter attention aux propos désagréables du viel homme, elle sentit une forte pression sur son bras qui lui arracha un couinement de douleur - Basil, prenant peur, alla se fourrer dans le sac - et se trouva forcée à faire volte face pour se retrouver nez-à-nez avec celui qui était connu à la Mavros sous le pseudonyme de Big Ben. Ce dernier se mit à la détailler sans retenue et Charlie serra les dents. Si Vincent ne lui avait pas fait au préalable comprendre qu'elle ne devait rien faire, elle aurait déjà tenté d'attaquer cet homme... et elle serait déjà certainement morte, mais ça, elle n'en avait qu'une vague idée. Elle resserra son poing, minuscule comparé à celui de Big Ben, sur la main de ce dernier qui lui enserrait douloureusement le bras, comme pour essayer de lui faire lâcher prise, mais également pour lui faire comprendre qu'elle avait beau paraître docile, elle n'en restait pas moins n'importe qui. Elle détestait la façon qu'il avait de se comporter avec Vincent et elle. Cette façon qu'il avait de parler d'elle comme si elle n'était même pas là l'insupportait, et la rage bouillait tellement en elle que son visage en était devenu tout rouge. Elle sentait qu'elle était sur le point de craquer, toute obéissante qu'elle était, elle était trop hargneuse pour tenir le coup encore longtemps. Mais alors qu'elle prenait sa respiration pour lancer un cri pré-attaque, Big Ben l'envoya valser contre la paroi de l'ascenseur, lui tordant presque le bras au passage, juste avant de quitter l'espace qui se referma sur les deux jeunes gens à nouveaux seuls.

Se massant l'avant bras où on pouvait voir la marque de la poigne de Big Ben, Charlie appuya son front contre la paroi métallique et froide de l'ascenseur afin de se calmer un brin, respirant profondément. Ce n'était pas le moment de perdre son sang froid. Non. Elle devait prouver à son héros qu'elle était capable de gérer une situation de crise. Mais allait-il croire qu'elle se dégonflait face à une agression ? D'un coup, le doute l'assaillit. Subir un tel affront et ne rien rétorquer, cela ne lui ressemblait pas, pas du tout. Elle n'avait jamais laissé passé la moindre petite remarque jusqu'ici... Mais cette fois, elle en avait reçu l'ordre, c'était différent. Oui. Il comprendrait, sûrement. Il lui avait fait comprendre de rester calme.

Elle ruminait ainsi ces pensées et était un peu partie ailleurs lorsqu'elle sentit une main se poser sur son épaule. Elle frissona, revenant au moment présent dans l'ascenseur, et imaginant durant une fraction de seconde qu'il s'agissait encore une fois de Big Ben. Elle se retourna, chacun de ses muscles tendus, prête à se défendre si besoin était, pour se trouver finalement nez-à-nez avec Vincent. Son visage, dont les rougeurs s'étaient un peu dissipées, redevint soudainement rouge, mais cette fois-ci non plus à cause de la rage.

Lorsque Vincent lui demanda si elle allait bien, elle sentit son coeur s'accélérer.
Lorsqu'il posa la main sur sa joue, un goutte de sueur coula le long de sa tempe.
Lorsqu'il s'enquit à nouveau de son état, elle se mit à marmonner des paroles plus ou moins compréhensibles :

- Wrxflgrzt... B... B... Bnon... Vrrrien m'cassé...

Non, non, non et non. Ca n'allait pas du tout.

*Reprends-toi enfin pauvre cloche. Tu veux passer pour une moins que rien, c'est ça ?*

Elle essuya la sueur qui maculait désormais son front d'un revers de la main et détourna son regard de celui d'Alex de Vincent, puis reprit d'une voix qui se voulait plus assurée mais qui tremblait légèrement :

- Ce... C'est rien ! La bitva, ça me fait pas peur, j'en ai vu d'autres !

Elle se força à sourire. Son regard allait dans tous les sens, croisant parfois celui de Vincent, mais elle cherchait toujours à l'éviter. Ce fut ce moment que choisit l'ascenseur pour s'arrêter dans une violente secousse. Durant d'interminable secondes, rien ne se passa. Charlie pensa qu'il y avait une panne, mais les portes finirent pas s'ouvrir comme si de rien n'était. Ces boîtes infernales étaient vraiment très délabrées... Charlie ne se le fit pas dire deux fois et sortit la première, se dégageant de cette proximité gênante. Elle ne comprenait pas ce qu'il lui arrivait. L'homme de sa vie, qu'elle avait attendu depuis l'enfance (enfin c'était ce qu'elle s'imaginait) était devant elle, avait posé la main sur sa joue, et s'inquiétait visiblement un peu pour elle, et elle, tout ce qu'elle trouvait à faire c'était de mettre les voiles. Elle s'était toujours imaginé que lorsqu'elle le trouverait enfin elle lui sauterait au cou... Mais non. Incompréhensible. Elle restait plus coincée qu'une collégienne même pas dépucelée de la langue. Amis poètes, bonsoir.

Charlie suivit Vincent à l'intérieur de son appartement. Enfin appartement... Si on pouvait appeler ça ainsi. On aurait dit une chambre d'apprentie, juste un chouya plus grande. Charlie, dès qu'elle avait pu quitter son taudis, s'en était donné à coeur joie pour décorer son intérieur comme elle l'entendait. Bon... C'était encore très spécial, mais bien plus agréable que les mansardes des apprentis.

Vincent invita Charlie à se servir un verre, alors qu'il se dirigeait dans un autre coin de ses quartiers. Elle ne se le fit pas dire deux fois, car elle avait bien besoin d'un petit remontant, non seulement après tout ce qu'il s'était passé, mais également... à cause de qu'il était présentement en train de se passer. Elle était dans la chambre - la CHAMBRE - d'Alex-Vincent. Il y avait de quoi être émue. Elle était rouge comme une tomate et ses jambes et mains, marbrées par le stress, flageolaient allègrement. Aussi, elle se dirigea vers la cuisine et ouvrit le réfrigérateur à la recherche de lait. Lorsqu'elle eut trouvé, elle se mit en quête d'un verre. Elle ouvrit plusieurs placards avant de trouver ce qu'elle cherchait, puis se servit un verre. Et, elle resta plantée là, à fixer le verre de lait, sans rien faire. Elle réfléchissait : devait-elle le boire tel quel, ajouter de la vodka ou bien... un ou deux comprimés ? Vincent s'était montré très clair lorsqu'elle lui avait proposé de la drogue... Il devait donc être contre...

Ce fut à cet instant que Vincent réapparut, torse nu, et Charlie n'aurait pas été surprise si, à cet instant, on lui avait dit que même ses cheveux avaient alors viré au rouge. Elle dut s'agripper au bar pour empêcher ses jambes de lâcher sous elle et détourna vivement le regard afin de ne pas finir par tourner de l'oeil. Elle se contenta de hocher la tête, fixant obstinément son verre de lait, lorsque Vincent lui signifia qu'il allait prendre une douche, et ne releva les yeux que lorsqu'elle entendit la porte de la salle de bain se refermer. Elle la fixa - la porte - pendant quelques secondes, attendant que le bruit du verrou retentisse, mais ce ne fut pas le cas. Elle haussa un sourcil et reporta son attention sur son verre.

Bon... Il lui fallait vraiment un petit remontant. Et puis, elle n'était pas obligée de préciser à Vincent qu'elle avait prit de la drogue. Et puis... il ne lui avait rien interdit. Du moment qu'elle ne lui en donnait pas, elle avait bien toujours le droit de s'en servir elle-même, non ? Elle fouilla nerveusement de sa main tremblante dans son sac, ne prenant même pas garde à Basil qu'elle bouscula dans sa sieste et qui siffla d'un air contrarié avant d'aller s'enrouler sur lui même dans un autre coin de la besace. Finalement, Charlie tira de son sac un petit sac de poudre blanche. Elle en versa un peu dans le verre, mélangea avec une cuiller, et bu la liqueur d'un trait.

En quelques secondes, elle put sentir les effets de la cocaïne. Un sourire se plaqua sur ses lèvres alors que l'euphorie montait en elle et qu'elle se sentait soudainement désinhibée... Mais la soumission qui l'habitait désormais était pourtant trop présente pour qu'elle l'oublie totalement, elle n'avait pas prit assez de cocaïne pour cela, et elle était trop accoutumée à la substance. Néanmoins, elle fit ce qu'elle n'aurait jamais osé faire si elle avait été sobre : elle se dirigea vers la porte de la salle de bain et tourna lentement, précautionneusement, la poignée de la porte, qu'elle poussa de quelques centimètres. Elle jeta un coup d'oeil par l'entrebaillement, tremblante à la fois de peur, peur de se faire attraper et de se prendre une sacrée rouste, mais également d'excitation, et là, pas la peine d'expliquer pourquoi.

Tout son corps tremblait. Et il tremblait tant, que son sac glissa de son épaule et tomba sur le sol avec un bruit lourd. Paniquée à l'idée de se faire repérer, Charlie referma brusquement la porte qui claqua avec bruit. Bien joué... Là, elle était indubitablement grillée ! Elle ne prit même pas la peine de ramasser son sac et se mit à courir désespérément à travers la chambre, à la recherche d'une cachette. Dans sa précipitation, elle se mangea lamentablement une chaise et s'étala par terre, entraînant dans sa chute une bouteille qui était posée sur la table, le tout dans un bruit de chute et de verre brisé, agrémenté d'un couinement de douleur de la part de Charlie.

Arriva ce qu'il devait arriver... La porte de la salle de bain s'ouvrit sur un Vincent ruisselant et à demi-nu. Charlie se pétrifia, incapable de se relever, autant de par la vision qui s'offrait à elle que par la peur qu'elle éprouvait à l'idée qu'elle allait très certainement se prendre une volée pour avoir foutu un bordel sans nom dans l'antre de son héros, sans oublié le fait qu'elle l'avait espionné... dans le plus simple appareil... et qu'en plus, elle était loin de ne pas avoir apprécié, et rien que le fait de penser qu'elle l'avait vu non pas simplement à demi-nu mais nu tout court (même si elle n'avait eut droit qu'à la vue de dos, c'était déjà pas mal) la mettait, en le regardant, encore plus mal à l'aise qu'elle ne l'avait été tout au long de la soirée.

Elle resta allongée sur le sol, attendant que la sentence pleuve. Chaque pas que Vincent faisait vers elle la faisait trembler un peu plus, et, au lieu de rougir, elle pâlissait à vue d'oeil. Et lorsqu'il se pencha vers elle, elle eut juré que son coeur s'était arrêté de battre... ou bien battait si fort qu'elle n'arrivait plus à distinguer chaque battement. Elle déglutit péniblement, la salive raclant sa gorge desséchée, et ses traits se crispèrent, dans l'attente de la punition. Alex n'aimait pas qu'on mette le bazar dans ses affaires, et surtout qu'on fasse des choses à son insu. Et même si Vincent n'avait pas - encore - conscience d'être la réincarnation du divin, divin Alex, Charlie était sûr qu'il devait avoir des réminiscences à travers son caractère.

Mais la seule chose qui lui arriva sur le visage fut une goutte d'eau, qui avait glissé du visage de Vincent jusque sur le sien, et pour cause, ils n'étaient plus qu'à quelques centimètres l'un de l'autre. A nouveau, Charlie déglutit. Elle ne pouvait détacher son regard, malgré toute sa gêne, de celui de son héros. Son visage avait perdu toutes ses couleurs, et pourtant, il était si brûlant qu'elle n'aurait pas été surprise de voir les gouttes d'eau s'évaporer à la seconde où elles touchaient sa peau. Elle sonda son regard. Il n'y avait aucune agressivité dedans mais... hallucinait-elle, ou pouvait-elle lire de l'inquiétude, tout comme dans l'ascenseur, après que Big Ben l'ait malmenée ?

Nouvelle déglutition alors qu'il posait sa main sur sa joue... Comme dans l'ascenseur. Il n'avait pas l'intention de la frapper. Elle poussa un petit soupire, saccadé par ses tremblements, car bien qu'elle fût rassurée sur les intentions de Vincent, elle était toujours perturbée et excitée par la situation - et la cocaïne, dont les effets ne la laissaient pas non plus indifférente. Ce fut d'ailleurs grâce à la substance illicite qu'elle osa poser sa main sur celle de Vincent, alors que les couleurs revenaient doucement à ses joues. Elle posa son autre main sur la joue de Vincent. La cocaïne aidant, elle se sentait prête à faire le premier pas - chose qu'elle n'aurait jamais faite, tout du moins avec lui, si elle avait été sobre. Elle approcha lentement, très lentement son visage de celui de Vincent, elle pouvait sentir son souffle sur sa peau, quand soudain...

Quelque chose lui effleura la jambe. Elle poussa un petit cri et sursauta, envoyant en se redressant vivement son genou en plein là où il ne fallait pas. Elle vit alors Basil qui rampait tranquillement, comme si rien ne s'était passé, vers elle. Il n'avait pas apprécié être laissé en arrière et, en fidèle reptile, avait entreprit de rejoindre sa maîtresse... et avait déclenché ce sacré fourbi. Mais Charlie n'attarda pas son attention sur son python. Elle venait de castrer l'homme de ses rêves, cela avait de quoi être préoccupant. Elle plaqua les mains sur sa bouche et écarquilla des yeux horrifiés, son inquiétude étant décuplée par les stupéfiants.

- Ohmondieuohmondieuohmondieu ! baragouinait-elle.

Elle s'approcha prudemment de Vincent.

- Je... Je... Je suis désolée je... je voulais pas... bredouilla-t-elle, mortellement confuse.

Charlie vit la peau de Vincent se dépigmenter et sentit qu'il lui arrivait, sous le coup du stress, la même chose. Décidément, elle pourrait être élue miss pas douée 2066. Elle accumulait les catastrophes... mais ça, ce n'était pas nouveau. Elle aurait dû s'en douter, d'autant plus qu'elle s'était pris un rail, ce qui n'arrangeait vraiment rien à son comportement déjà en temps normal quelque peu désordonné...

Cette fois-ci... ça allait tomber, ça ne pouvait pas en être autrement... ou bien cela se pouvait-il ? Alex/Vincent ne semblait pas vouloir lui sauter à la gorge pour l'étrangler, ou pire. Etrange... Connaissant son héros de A à Z, elle savait qu'il ne laissa pas passer la moindre anicroche. Alors pourquoi venait-il tout juste de lui dire de ne pas s'en faire ? Comme si cela n'avait rien de grave ? Comme si elle s'était contentée de lui piquer un bonbon dans sa réserve ? Comme si elle ne l'avait ni maté sous la douche, ni mit le brin dans son appart, ni gracieusement castré... Il y avait anguille sous roche. Ou bien son héros avait perdu la tête ou bien... ou bien l'électricité qu'il y avait entre eux n'était pas dûe à la seule imagination fantasmagorique de Charlie.

Elle se contenta de hocher piteusement la tête, comme une petite fille honteuse, avant de se diriger d'un pas titubant vers l'endroit où elle avait laissé tomber sa sacoche. Elle la ramassa, puis récupéra également Basil qu'elle glissa rapidement à l'intérieur de son sac, le fermant précautionneusement afin qu'il ne provoque pas d'autre catastrophe. Lorsqu'elle se retourna, ce fut pour se trouver nez-à-nez avec un paquet de cigarette, lequel était tenu par une main, placée au bout d'un bras, rattaché à une épaule elle-même appartenant à un corps qui était à moitié n...

*Gargl !*

Non seulement Charlie n'était pas douée, mais en plus elle avait tendance à être distraite, et les événements lui avaient fait presque oublier que Vincent n'avait sur lui en tout et pour tout qu'une malheureuse serviette de bain, qui lui laissait tout loisir de se rincer l'oeil. Et bien qu'elle en ait vu bien plus par l'entrebaillement de la porte de la salle de bain, cela la mettait tout de même mal à l'aise. Pourtant elle était bien loin d'être prude, oooh oui, bien loin !

- Gweuh...

Elle était déroutée par le ton nonchalant de Vincent, on aurait vraiment cru qu'il ne s'était absolument rien passé. Elle prit néanmoins une cigarette d'une main légèrement tremblante et l'alluma, manquant de se brûler les doigts et laissant échapper un petit couinement.

- Gweuh... répéta-t-elle dans toute la magnificence de sa rhétorique. Nan... ça va... Et toi ?

Elle rougit en une fraction de secondes. Ces mots étaient sortis tous seuls sans qu'elle y pense. C'était une question on ne peut plus stupide à poser, aussi elle fut bien contente lorsque son téléphone portable sonna. Elle adressa un regard d'excuse à Vincent en casant la cigarette entre ses lèvres et en sortant son téléphone avant d'y réponse. Elle marmonna un "allô" à peine compréhensible entre ses lèvres pincées, et resta silencieuse durant quelques secondes, écoutant son interlocuteur, avant de raccrocher sans rajouter un mot.

Elle eut soudain un air beaucoup plus assuré, et pour cause : on venait de lui annoncer qu'elle devait se mettre en route pour une bonne bitva. Elle avait un tout autre ton, bien plus maîtrisé, et avec une excitation non dissimulée, lorsqu'elle s'adressa de nouveau à Vincent :

- La boss s'est faite skvattée par les millicents. Faut aller à la staja pour la faire sortir.

Son sourire si particulier étira ses lèvres, à mi-chemin entre celui d'une enfant ravie à l'idée de se rendre à une pyjama party et celui d'une nymphomane croisée avec une psychopathe... minute, c'était exactement ce qu'elle était.

Elle tira sur sa cancerette tout en se rapprochant de Vincent avec une démarche suggestive. L'idée d'aller exploser quelques têtes l'avait instantanément ragaillardie et lui avait redonné du poil de la bête.

- Tu viens avec moi ? demanda-t-elle sur le même ton qu'aurait employé une enfant pour demander qu'on joue avec elle.

Parée d’une nouvelle énergie destructrice, Charlie se vit soulagée de ne pas perdre autant ses moyens qu’auparavant lorsque Vincent se rapprocha d’elle. Elle sentit tout de même son cœur faire un sacré bond dans sa poitrine lorsqu’il la saisit par la hanche et rapprocha dangereusement son visage du sien, revenant au même point où ils en étaient quelques minutes auparavant, mais cette fois au lieu d’être à l’horizontal, ils étaient à la verticale. Comme s’il avait voulu terminer le travail inachevé… Mais peut-être qu’encore une fois, se disait Charlie, elle se faisait des films. Après tout, qu’était-elle comparée au divin, divin Alex ? Comment pouvait-il s’intéresser à elle qui n’était rien qu’une pâle copie castrée ?

Ses interrogations furent interrompues par un événement qui n’aurait pas manqué de lui faire faire une syncope pourvu qu’elle ne se soit pas trouvée dans l’enthousiasme de sortir et d’aller fracturer quelques boîtes crâniennes. Or donc, en l’occurrence, alors que Vincent la laissait quelques minutes le temps de préparer, au lieu de s’effondrer sous le coup de l’émotion, elle se contenta de rêveusement toucher du bout des doigts le coin de ses lèvres où son idolâtré avait le plus naturellement du monde déposé un baiser. Elle secoua la tête. Elle venait de retrouver ses moyens, ce n’était pas le moment de les reperdre.

Elle suivit Vincent du regard, avec une certaine amertume au fond des yeux. C’était clair, désormais. Leur aurait-on laissé plus de temps, ils seraient très certainement en train de s’envoyer en l’air à l’instant présent. Mais la boss avait besoin d’aider, et rien n’était plus important qu’un ordre venu d’en haut… Malheureusement. Emplie de frustration, Charlie se fit rapidement un rail afin de ne pas perdre son enthousiasme et d’essayer d’oublier l’impossibilité d’assouvir enfin son éternel désir. C’était bien la première fois qu’elle rechignait à l’ouvrage.

Elle reniflait lorsque Vincent réapparut dans la pièce. Confuse, elle s’efforça de faire comme si de rien n’était. Mais son nez la démangeait salement. Elle se frotta discrètement juste au-dessus des lèvres pour éliminer les éventuels résidus de poudre, espérant que Vincent ne remarquerait rien. Elle l’observa avec un plaisir dans les yeux non dissimulé alors qu’il terminait de se préparer pour leur sortie. Lorsqu’il la fixa et lui dit qu’il la suivait, elle lui répondit par ce petit sourire éternellement enfantin et pervers, se baissa pour ramasser son sac – elle vérifia au passage que Basil était bien dedans – et tourna les talons en direction de la sortie.

Lorsqu’ils arrivèrent devant l’ascenseur et que celui-ci ouvrit ses portes, elle eut une vague pensée pour l’homme qu’ils avaient croisé à l’allée. Elle espérait ne pas avoir à nouveau affaire à lui. Quelque chose lui disait qu’il ne la portait pas dans son cœur. Elle s’en serait royalement foutu s’il ne semblait pas tenir une place importante dans la vie de son soi-disant héros.

Quelques minutes plus tard, les deux tueurs marchaient à travers les rues du quartier Mavros en direction du centre de détention d’Ataxia, à la rescousse de leur chef. Une tension à couper au couteau planait entre les deux compères. Depuis leur départ de la piaule de Vincent, pas un mot n’avait été échangé. Les traits de Charlie étaient visiblement crispés. Elle était royalement frustrée ! Elle n’avait qu’une envie : se jeter sur Vincent. Mais elle ne pouvait faillir à son devoir, sinon, c’était la mort. Peu lui aurait importé la mort quelques heures auparavant, mais maintenant que son rêve s’était réalisé, elle n’allait certainement pas tout foutre en l’air pour une histoire de cul. Et, de plus, elle ne se permettrait jamais de faire le premier pas... C'était lui le grand patron. Elle n'était que sa disciple, sa suivante, son esclave, son objet. Qu'il ordonne et elle obéirait. Même si cet ordre allait à l'encontre des règles de la Mavros, d'ailleurs.

Chaque pas qu’ils faisaient dans le silence ne faisait qu’augmenter sa frustration. Elle se mit à maugréer à voix basse des paroles incompréhensibles. Un chien errant croisa leur chemin et entreprit de leur aboyer copieusement dessus. Charlie sortit son flingue et descendit l’animal d’un air blasé, lui accordant un peine un regard.

- Je déteste les clebs… marmonna-t-elle.

Elle marqua une pause, fixant son arme d’un air absent. Puis, un sourire vint finalement étirer ses lèvres.

- Héhé… C’est déjà mieux !

Il n’y avait décidément rien de tel que l’ultra-violence pour se remettre en train.

- Allons-y, mon frère.


[on aura jamais mis que 11 mois pour finir ce topic !]