Petite balade

Artus n'aimait pas la compagnie de la foule, cela avait toujours été le cas, et ce n'était pas prêt de changer, même s'il était enfin libre. Enfin, libre... tout est relatif : s'il quittait la Synnefo, il risquait de se faire attraper par la milice que sa famille avait engagée afin de le retrouver et de le renvoyer là où ils considéraient que se trouvait sa place : à l'asile, qu'ils appelaient affectueusement "l'établissement spécialisé".

En attendant, Artus se faisait tout doucement à sa nouvelle maison. Il avait découvert avec bonheur que certains endroits du QG de la Synnefo n'étaient pas aussi animé comme la plupart l'étaient. Les couloirs du sous-sols étaient donc devenus un de ses endroits favoris, car beaucoup étaient le plus souvent déserts et l'obscurité rendait le sentiment d'isolation encore plus fort.

Il s'était donc installé à même le sol, profitant du silence et des ténèbres afin de se relaxer. Se relaxer en l'occurrence voulait dire pour lui composer : il était allongé sur le ventre, entouré de feuilles de musique couvertes de griffonnages que seul Artus serait capable de déchiffrer tant c'était brouillon.

Il était donc en train de couvrir des portées de notes et de rythmes lorsqu'il entendit des bruits de pas qui se rapprochaient progressivement de lui. Il fronça les sourcils et le nez, signe typique d'énervement chez lui, et jeta un coup d'oeil dans la direction d'où provenait ce son si disgracieux à ses oreilles. Il discerna la silhouette d'un homme qui se découpait très légèrement dans l'obscurité. Une personne normale n'aurait rien vu à la distance où il se trouvait, mais Artus, habitué aux ténèbres - car, premièrement, il n'aimait pas la lumière du soleil, et deuxièmement, même s'il l'aimait, elle était dangereuse pour lui étant donné que sa peau albinos était ultra-sensible à la lumière - sa vue était donc beaucoup plus développée qu'une personne normale, et il pouvait discerner l'homme qui s'approchait.

Contrarié d'être ainsi dérangé (oui, contrarié, même si cet homme n'y était pour rien, car en vérité ce jeune monsieur avait un très sale caractère), Artus se décidé à lui jouer un tour à sa façon. Là où il était, au raz du sol et dans l'obscurité, il ne pouvait être vu par la personne qui approchait. Il sortit son harmonica de sa poche, et souffla doucement dedans, de façon à produire un son distant et inquiétant qu'on pouvait difficilement identifier comme provenant d'un instrument de musique.

Artus avait espéré faire peur à cet homme mais... jamais il n'aurait pensé que cela prendrait de telles proportions ! Il venait de manquer de ce faire écraser par cette masse confuse et paniquée et en plus, une de ses feuilles de musique était ruinée ! Il commença à rassembler ses affaires, conscient qu'il restait toujours invisible aux yeux de l'homme bien qu'il soit maintenant tout proche de lui. Il se releva sans un bruit et fit quelques pas, ayant l'intention de quitter les lieux, lorsqu'un bruit métallique retentit et... il se retrouva avec l'embout d'un pied de biche à dix centimètres de sa figure. Là, il n'était plus question de faire paniquer l'inconnu, car étant donné la façon dont il avait réagit, s'il lui refaisait peur il avait quatre-vingt dix pour cent de chances de se prendre la barre métallique dans la figure. Or, une seule cicatrice lui suffisait grandement.

Faisant très attention afin de ne pas faire de mouvement brusque ni de bruit suspect, il sortit son portable de sa poche et appuya sur une touche afin d'enclencher le rétro éclairage. La lumière bleutée illumina les ténèbres et Artus devint visible aux yeux de l'inconnu. Il leva les mains en signe d'apaisement, sa main droite tenant encore son harmonica, l'autre son portable.

"Cool !" dit-il.

Peut-être aurait-il mieux fait de donner plus d'explications (d'ailleurs on pouvait difficilement dire que "cool" correspondait à une quelconque explication, enfin bon) mais Artus ne prononçait que rarement plus de dix mots par semaine...

*Monsieur Cool ? Ma parole il a craqué son slip celui-là...*

Artus dévisagea l'homme des pieds à la tête avec une moue de désapprobation non dissimulée.

*Il a pas l'air bien éveillé celui-là...*

Il n'avait pas envie de répondre car non seulement il n'aimait pas parler, mais en plus il n'appréciait pas la façon dont il lui avait demandé ce qu'il faisait ici, comme si Artus avait des comptes à lui rendre. Non mais quoi ! il était membre de la Synnefo et était libre de circuler comme bon lui semblait dans le building. De plus, il avait bien remarqué que ce type étrange était toujours sur la défensive, gardant une ferme poigne sur son pied de biche. Ce n'était vraiment pas pour lui plaire...

Il haussa les épaules, et émit un vague "hmm..." tout ce qu'il y avait de plus désinvolte en guise de réponse.

Artus leva les yeux au ciel, cachant presque totalement ses pupilles sous ses paupières, et poussa un soupire d'impatience. Décidément, ce type n'avait pas l'air très futé. Sinon, il aurait tout de même pu deviner qu'Artus était membre de la Synnefo, sinon, il n'aurait jamais pu se trouver en ces lieux, ou, s'il avait été un intrus qui aurait miraculeusement réussi à pénétrer dans le bâtiment hautement sécurisé, il ne se serait pas fait repérer de façon aussi stupide. Artus lui aurait bien rit à la figure, mais d'une part le pied de biche qui le menaçait toujours légèrement le laissait penser que ce ne serait pas une bonne idée, et d'autre part, ce n'était vraiment pas son genre, en bon associable, d'éclater de rire au nez de quelqu'un.

Il haussa les épaules et poussa un petit "pffrt !" puis fouilla dans sa poche et en retira son badge de la Synnefo, portant sa photo, son nom, prénom, et son rang au sein de la société. Il ne le laissa visible que quelques seconde avant de l'enfouir de nouveau dans sa poche, haussant à nouveau les épaules d'un air désinvolte et poussant un second "pffrt !".

*Pauvre idiot...* pensa-t-il en détournant le regard et en fourrant les mains dans ses poches.