Convocation importante

Et voilà, le "verdict" était tombé. L'ancien second de Senora afin enfin choisit le nouveau boss de la Schya, après avoir tergiversé pendant plus de deux ans - Lily le soupçonnait d'avoir laissé traîner les choses afin de profiter au maximum de sa nomination provisoire. Sa décision finale avait certainement avait été influencée par le fait que l'élu, Samuel Westfield, avait la côte auprès d'un bon nombre des membres de la Schya, lesquels avaient poussés Westfield à poser sa candidature. C'était en tous cas ce qu'avait entendu dire Lily, car elle-même ne faisait pas partie des groupies de Westfield. Non pas qu'elle ne l'appréciait pas - en réalité, elle n'avait jamais eu directement à faire à lui, elle le connaissait juste de nom - mais plutôt parce que, étant donné l'étrange relation qu'elle avait entretenue avec Senora, elle ne s'était pas montrée pressée de voir quelqu'un d'autre reprendre le flambeau, considérant que personne n'arriverait jamais à la cheville de l'ancien dirigeant.

L'information de la nomination de Samuel Westfield était tombée le matin même et avait rapidement été suivie par celle de la propre soeur de Westfield en tant que seconde. Lily ne savait toujours pas trop comment prendre cela. D'un côté elle était heureuse et rassurée que la Schya, qui était désormais sa famille, ait quelqu'un à sa tête et n'ait plus le risque de partir à veau l'eau, mais en même temps elle ne pouvait s'empêcher de ressentir de l'amertume. Lily ne doutait pas de ses capacités, loin de là. S'il avait été choisi, c'est qu'il était digne de la Schya. Mais cet homme n'était et ne serait jamais Sylphius Senora. Lily avait du mal à concevoir que quelqu'un d'autre soit à sa place. Mais elle savait qu'elle ferait de son mieux pour que tout se passe bien... ce qui ne voulait pas dire qu'elle y arriverait.

Cela avait déjà mal commencé lorsqu'elle avait reçu la convocation de Westfield, lui disant qu'elle devait se rendre dans son bureau, le motif n'était pas spécifié. Elle n'avait pu s'empêcher de pousser un juron qui avait résonné dans son appartement éternellement désert, avant de se mordre la langue, pensant qu'elle n'aurait jamais réagi ainsi avec Senora. Cela commençait mal si elle faisait preuve de mauvaise volonté avant même de s'être retrouvée devant le nouveau boss. Elle s'était rapidement mise en route pour le bureau du boss, ne s'autorisant pas de traînasser en chemin, ce qui expliquait le fait que trois minutes à peine après avoir reçu le message de Westfield sur son bipeur, elle frappait déjà à sa porte.

Lorsqu'elle s'entendit sommer d'entrer, elle ouvrit la porte et fut surprise de constater que Westfield lui tournait le dos. Elle fronça les sourcils, ne pouvant s'empêcher de prendre la chose assez mal, interprétant cela - à tord, mais elle ne le savait pas - comme de l'arrogance. Elle ferma la porte, ne quittant pas des yeux la silhouette de Westfield qui se découpait sur la fenêtre. Lorsqu'il se tourna vers elle, elle s'efforça d'avoir l'air décontracté, mais peine perdue : son visage restait fermé et ses traits étaient crispés. Et lorsqu'il s'adressa à elle par le tutoiement, elle ne pu s'empêcher de battre plusieurs fois des paupières, signe chez elle d'une profonde surprise mêlée de désapprobation - qui aurait pu se traduire verbalement par un "what the fuck?!". Ce fut néanmoins le plus posément et poliment du monde qu'elle répondit :

- Bien, je vous remercie. Vous même ?

Lorsqu'il mentionna préférer le tutoiement, Lily tiqua. Hé bien si Westfield n'aimait pas le vouvoiement, Lily, elle, n'aimait ni tutoyer ni être tutoyée. Heureusement pour elle, il ne lui avait pas donné l'ordre de le tutoyer - sinon, elle se serait trouvée bien obligée de le faire. Non, il lui avait dit qu'il préférait être tutoyer, "si cela ne la dérangeait pas". Hé bien, si, cela la dérangeait, et comme elle ne se trouvait pas forcée d'employer le tutoiement, elle continuerait à employer le vouvoiement. Encore une fois, elle se dit qu'elle n'aurait jamais osé faire cela du temps de Senora, et qu'elle n'aurait pas attendu l'ordre une seconde avant de se plier à sa volonté, elle aurait même fait de son mieux pour anticiper ses ordres. Mais là... En revanche, bien sûr, elle ne ferait aucune remarque sur le fait qu'il la tutoyât, ç'aurait été bien trop déplacé. Elle se contenterait de continuer à le vouvoyer - sans même répondre à sa remarque, sa seule réponse serait de justement continuer à le vouvoyer, il se rendrait bien compte, comme un grand, de sa propre préférence.

Elle tiqua à nouveau lorsqu'il lui expliqua le motif de sa convocation, et elle sentit divers sentiments monter en elle. Amertume, d'abord, à cause de l'évocation de Senora. Colère, également, puisqu'il voulait se servir d'elle dans cette affaire - bien que ce fût injuste de la part de Lily, puisqu'il était tout à fait normal, à bien y réfléchir, qu'il désire son aide, puisqu'elle avait été témoin du drame. Et, finalement, excitation. Excitation à l'idée que quelqu'un veuille venger la mort de l'ancien dirigeant. Elle devait s'avouer qu'elle avait longtemps attendu que quelqu'un de la Schya se lève avec le désir d'accomplir une telle chose. Oh, on aurait pu penser que Lily s'en serait chargée. Mais tout d'abord, cela aurait été suicidaire puisque l'assassin de Senora avait depuis été élevé au rang de Boss de la Mavros. Et d'autre part, elle ne se sentait pas le courage de le faire elle-même, préférant mettre son mouchoir sur cette histoire et tout oublier afin de ne plus en souffrir. Manifestement, elle n'avait pas réussi à oublier. Et à chaque fois que quelqu'un évoquait cet évènement devant elle, cela se finissait généralement mal. Westfield avait de la chance d'être un boss tout frais pêché du matin, sinon, elle serait partie sans ajouter un mot en lui claquant la porte au nez - et ceci, au mieux.

Elle serra les poings pour empêcher ses mains de trembler, avala sa salive avec difficulté - car sa gorge était serrée, et répondit d'une voix clairement tendue - mais toujours polie :

- Très bien, j'écoute vos questions, boss.

Elle avait prononcé ce dernier mot avec emphase et avait également appuyé, mais plus légèrement, sur l'emploi du vous, afin de lui signifier son choix quant au tutoiement et au vouvoiement.

Lily eut un regard de désapprobation en voyant Westfield descendre son verre de cognac. Bon... Elle ne pouvait pas lui jeter la première pierre - elle aimait elle-même boire plus qu'un petit coup de temps en temps. Mais toute comparaison qui serait à l'avantage de Senora était la bien venue, et, en l'occurrence, c'en était une, puisque Senora ne se serait jamais permis ce genre de choses, tout du moins en une telle situation, car, en privé, il était comme tout le monde.

Elle considéra ensuite la question de Westfield. Une flamme sembla s'allumer dans les yeux de Lily alors qu'elle se remémorait le visage de cette femme qu'elle haïssait au plus haut point. Eloane Helies... une bête vermine de la Mavros qui avait eut un incroyable coup de chance et qui s'était retrouvée propulsée au sommet. Un coup de chance, parfaitement. Cette sale droguée n'avait aucun mérite. Elle avait eu une chance sur un million de réussir son coup, et une chance sur un milliard de réussir son coup sans se faire tuer... Et elle avait réussi. En y repensant, Lily ne put s'empêcher de montrer sur son visage les traits de la colère. Elle détourna les yeux, fixant obstinément une table basse sur sa droite, avant de répondre, ne détournant toujours pas son regard de l'objet :

- Eloane Helies.

Ce nom sembla presque lui écorcher les lèvres alors qu'elle le prononçait avec tout le mépris dont elle pouvait faire preuve.

- Elle a été nommée chef de la Mavros, depuis...

Lily n'était pas si étonnée que Westfield n'en sache pas plus. Le second avait préféré étouffer l'affaire le plus longtemps possible afin que la nouvelle que la Schya se retrouvait sans dirigeant ne se propage pas trop vite dans Ataxia - peine perdue, au final, puisque Helies s'était empressée d'aller se vanter de son "exploit" à qui voulait l'entendre, ce qui l'avait menée à sa nomination. Néanmoins, la seule information qui fut officiellement donnée fut que Senora avait été assassiné par un Mavros, sans spécifier qui exactement. Dans quel but ? Aucun autre que celui d'attiser la haine des Schya envers les Mavros en général, et ce afin qu'ils cherchent encore plus qu'avant à détruire tout Mavros leur passant devant le nez.

Lily releva finalement les yeux vers Westfield. Son regard était toujours glacial et distant, mais un peu moins dur.

- Vous en avez bien sûr entendu parler.

C'était plus une affirmation qu'une question. Autant cela ne lui faisait ni chaud ni froid que Westfield ignorât l'identité de l'assassin de Senora, autant cela aurait effaré Lily s'il n'avait jamais entendu parler d'Eloane Helies, boss de la Mavros aussi réputée que méprisée au sein de la Schya.

Et tiens ! Après la bibine, la cancerette ! Lily haussa puis rabaissa les sourcils, tout en regardant de côté et en pinçant les lèvres (le tout très rapidement et de façon à peine notable) signe de claire désapprobation. Elle croisa les bras. Bon... d'accord... il lui arrivait aussi de s'en griller une, de temps en temps, d'accord... Mais Westfield était le boss et se devait, donc, tout du moins du point de vue de Lily, d'être irréprochable. Et, tout en se disant cela, elle fit de son mieux pour oublier que Senora avait lui-même été fumeur... Le boss se devait d'être parfait, un point c'est tout !

Alors qu'elle l'écoutait parler, elle hocha deux ou trois fois la tête pour faire signe qu'elle approuvait ses dires, mais n'ajouta rien, ne voulant pas l'interrompre car, étant donné qu'il avait suspendu sa phrase, elle pensait qu'il allait ajouter quelque chose et attendait poliment qu'il ait fini de parler. Mais les secondes passaient et un silence pesant s'était installé. Lily ouvrit la bouche pour parler, lorsque son bipeur multifonctions (dont l'une d'elles notamment était, tout simplement, téléphone portable) sonna. Lily regarda discrètement l'appelant s'afficher sur l'écran et constata qu'il s'agissait d'un de ses indics, dont elle attendait une information importante. Si Lily avait été en face de Senora, quelle que soit l'urgence, elle n'aurait jamais osé décroché en une telle situation. Mais en l'occurrence...

Elle regarda Westfield avec un air "veuillez m'excuser, c'est très important" et appuya sur la touche verte de son téléphone qu'elle porta à son oreille. Mais, dans sa précipitation, elle ne se rendit pas compte qu'elle avait appuyé en même temps sur la touche haut parleur...

- Barker one code English Channel, débita-t-elle d'une voix très pro et affichant un air d'importance.

C'est alors que retentit la voix à l'autre bout du téléphone, amplifiée par les hauts parleurs :

- Joyeux anniversaire grand mère ! Mieux vaut descendre la colline que de s'y retrouver enterrée.

Ces paroles furent suivirent de la tonalité, signe que l'interlocuteur avait raccroché. Lily resta figé, téléphone collé contre son oreille. Non pas à cause de ce qu'elle venait d'entendre - il s'agissait d'un code secret entre son indic et elle, stupide, certes, mais efficace - mais parce qu'elle ne s'était pas attendue à ce que Westfield entende ceci. Elle en était tellement ébobie qu'elle ne pensa même pas à expliquer qu'il s'agissait d'un code, se focalisant sur la réaction qu'aurait Westfield. S'il osait SEULEMENT lui demander si elle était grand-mère, ça allait barder...

Lily resta interdite encore quelques secondes, puis elle cligna des yeux, semblant se réveiller, et remit son bippeur dans la poche intérieure de la veste de son tailleur en se raclant la gorge d'un air digne. Elle marmonna :

- Information codée importante.

Comme si elle avait besoin de se justifier, mais plus se justifier auprès d'elle-même qu'auprès de Westfield. Ce fut alors que ce dernier lui proposa de lui servir à boire. Lily haussa un sourcil. Qu'il boive lui-même lors d'une entrevue lui restait déjà en travers de la gorge, mais qu'en plus il le lui propose... Une partie d'elle-même se rendait bien compte qu'il ne s'agissait que d'une amabilité et qu'il n'y avait rien à blâmer, mais son côté pédant ne voulait pas laisser passer la moindre faute. Elle pinça les lèvres et répondit un peu froidement :

- Non merci, jamais pendant le service.

Ce qui était à moitié faux, car, parfois, afin de se mêler à un quelconque groupe à infiltrer, ou quelque chose dans ce genre-là, afin de mener à bien un contrat, il lui arrivait de boire un peu. Mais toutes les occasions étaient bonnes pour faire comprendre au successeur de Senora que Lily serait difficilement satisfaite.

Lily se contenta de secouer la tête en signe de négation lorsque son patron lui proposa autre chose à boire, puis elle se mit à pianoter avec impatience - et insolence selon certains points de vue - des doigts sur l'accoudoir de son fauteuil. La surprise de la tirade que débita alors Westfield la fit cesser immédiatement son petit manège. Sur le coup, elle ne sut pas trop comment réagir et resta interdite quelques secondes. Puis son visage déjà fermé se renfrogna : elle fronça les sourcils et pinça les lèvres dans une mimique de claire désapprobation.

Non mais, voilà autre chose ! Maintenant, mister Westfield se mettait à pleurnicher comme une fillette ? Boohoohoo, personne ne l'aime ! Pauvre petite chose ! Ce n'aurait sûrement pas été Senora qui aurait réagit comme ça, que non ! Lui, il aurait déjà collé le canon d'un revolver entre les deux yeux de Lily pour son comportement. Alors que Westfield s'écrasait comme un débutant devant elle, inacceptable, pitoyable, mais il avait de beaux yeux quand même, simplement bruns mais profonds et ténébreux, d'ailleurs Samuel était plutôt du genre ténébreux, et Lily était du genre à bien aimer le genre ténéb... ET PUIS QUOI ENCORE ?!!

Lily secoua brièvement la tête et chassa ces pensées de sa tête. Non mais, qu'est-ce qui lui prenait, à sa tête, de lui coller des pensées aussi idiotes dans l'esprit. Et quelles pensées, d'ailleurs ? Aucune, elle n'avait pensé à rien, à part critiquer - négativement bien sûr, et puis quoi encore - le nouveau boss. Non, elle ne s'était pas une seconde égarée sur le physique de Westfield, aussi agréable à regarder qu'il s... MAIS C'ETAIT PAS BIENTOT FINI NON ?!

Lily sentit avec une rage contenue le sang lui monter aux joues. Elle se leva pour se donner une contenance et déclara avec peut-être un peu trop d'emphase :

- Il ne s'agit pas de cela, Westfield. Ne prétendez pas savoir quelles sont mes inclinations envers vous sans que je en aie fais part. Ceci, je ne le permettrais même pas à un psychothérapeute, voyez-vous.

Elle se racla la gorge et détourna le regard, se disant qu'elle en faisait peut-être un peu trop, et reprit plus calmement :

- Je n'ai rien contre vous, sachez-le.

Elle n'en dit pas plus, elle aurait eu du mal à s'expliquer étant donné qu'elle avait elle-même du mal à y voir clair dans ses pensées. Effectivement, elle se montrait très dure envers Westfield, et même légèrement insolente. Mais cela ne voulait pas dire qu'elle ne le respecterait pas, ni qu'elle ne l'appréciait pas. Elle était seulement une très mauvaise tête, et encore trop attachée au souvenir de Senora. Il lui faudrait du temps pour se dérider et accepter le fait que quelqu'un, même différent de Senora, se montre un tout aussi bon et noble dirigeant pour la Schya.

Envoyer quelqu'un de la Schya au sein même de la Mavros ? Téméraire, très téméraire. Voire même plutôt (très) risqué. Dangereux. Suicidaire ? Non, il ne fallait tout de même pas exagérer. Lily s'était retrouvée au coeur de la Mavros (en tant que prisonnière) et elle en était ressortie. Elle fronça légèrement les sourcils en ce remémorant ces souvenirs particulièrement désagréables. Il s'agissait sûrement d'une des plus terribles expériences de sa vie. Elle avait été atrocement torturée, autant physiquement que psychologiquement. Et elle s'en était sortie vivante. Comment ? Son coeur se serra malgré elle. Grâce à Sylphyus Senora. Il était venu personnellement la chercher. La sauver.

Elle fut donc, elle devait se l'avouer, rassurée lorsque Westfield lui précisa qu'il ne comptait pas sur elle pour cette mission. De toutes façons, elle aurait refusé. Elle était tueuse, pas espionne. Bien sûr, si l'ordre était venu de Senora, elle n'aurait pas tenu compte de ce petit détail...

Elle hocha lentement la tête pour lui signifier son approbation. La mission était extrêmement risquée, mais le jeu en valait la chandelle. Personne n'avait réellement cherché à venger la mort de Senora. Tout du moins, pas directement. Les violences gratuites envers la Mavros s'étaient multipliées de la part de la Schya, mais personne n'avait été assez intrépide pour tenter d'atteindre la despotique Helies.

La dernière requête de Westfield intrigua et contraria quelque peu Lily. Alors qu'il avait réussi à gagner un mini macro petit chouya d'estime de la part de cette dernière, il venait de redescendre au point de départ, voire plus bas encore. Comment ? Il venait de se faire nommer chef de la Schya et il souhaitait avoir des renseignements sur la Schya ? Non mais, depuis combien de temps était-il membre de la corporation ? Il était inadmissible qu'un membre aussi ancien que lui reconnaisse avoir des lacunes quant à la Schya, qui plus est maintenant qu'il était boss.

Elle fronça les sourcils et croisa les bras, ne laissant rien cacher de sa désapprobation.

- Hum... Je suppose, répondit-elle d'un ton glacial. Quoi, par exemple ? demanda-t-elle très sèchement.

Lily retint un ricanement. Parfaite retenue, soit dit en passant : pas un tic, pas une lueur dans le regard. Personne n'aurait pu soupçonner que, l'espace d'un instant, elle ait eu envie de rire. Et quelle était donc raison de ce relâchement des nerfs, me demanderez-vous ? Les propos de Westfield, bien entendu, what else ? Comme nous l'avons déjà constaté un peu plus haut, tous les prétextes étaient bons pour trouver quelque chose qui clochait chez le nouveau boss de Lily...

Cette dernière haussa les sourcils et afficha un air poliment curieux... façon de dissimuler la dérision.

- Hé bien... S'il y avait effectivement des informations que seul Senora possédait, je n'en aurais aucune connaissance puisque... il était le seul à les savoir.

Elle appuya sur le "seul", mais pas trop, histoire de ne pas paraître trop irrespectueuse.

Puis, elle se détendit un brin, montrant qu'elle n'était pas rancunière, et poursuivit sans arrière pensée :

- Quant à votre proposition, je vous en sais gré. Mais je vais devoir la décliner. Il faut savoir faire une croix sur le passé.

*Et c'est exactement ce que je suis en train de faire, en le comparant sans cesse à Sylphyus, d'ailleurs...* songea-t-elle avec ironie. *Ce n'est vraiment pas sympa de ma part, mais... C'est dur, surtout après toute cette période de flou, de se retrouver aux ordres de quelqu'un d'autre... Après tout ce qu'il s'est passé. Et il est si différent. Beaucoup plus "cool", mais pas forcément pour le meilleur... En fait, ça me fait un peu peur. Je crains qu'il ne sache pas se montrer assez strict et qu'il se fasse marcher sur les pieds. Avec Sylphyus, ma cervelle aurait depuis longtemps repeint les murs de cette pièce, avec toute la dérision dont j'ai pu faire preuve envers lui jusqu'ici. Mais lui... Il est vraiment différent. Plus décontracté. Plus calme. Plus chaleureux d'une certaine façon. Plus modeste, ça c'est clair, mais ce n'est pas toujours un atout, surtout dans ce milieu... Plus timide aussi. Ça lui donne un côté attendrissant, surtout avec ce regard, il a énormément de charm... Nom de dieu ça va pas recommencer !!!*

Elle interrompit son monologue intérieur (qui bien sûr s'étant déroulé à la vitesse de la pensée n'avait pas duré plus d'une seconde, ce qui ne lui donnait pas l'air d'avoir buggé) puis reprit :

- Ce qui ne veut pas dire que nous devons faire abstraction de la vengeance que vous préparez. Mais je préférerais être impliquée le moins possible à cette histoire. Bien sûr, je reste à votre disposition. J'ai été témoin, je sais que je ne saurais faire l'impasse sur l'importance de mon témoignage et des informations que j'aurais à apporter.

Elle s'éclaircit la gorge et reprit d'une voix légèrement moins sûre d'elle, presque sur le ton de la confidence :

- Vous comprendrez j'en suis sûre qu'il est important pour moi encore plus que pour d'autres d'avancer et de ne pas m'engluer dans le passé.

Elle faisait bien sûre référence à la relation qu'elle avait entretenue avec l'ancien boss de la Schya. Elle n'était pas dupe, elle était bien consciente que Samuel était au courant, même sans trop de précisions, sinon, il ne lui aurait pas parlé de la façon dont il l'avait fait.

A parler de ne pas s'engluer dans le passé, Lily s'était tout justement perdue dans ses pensées. Cette entrevue avec le nouveau boss avait remué en elle des souvenirs qu'elle avait tant bien que mal essayés d'enterrer.

*Mais nom de dieu ! Cela fait cinq ans que c'est arrivé ! Il faut que je passe à autre chose !*

Combien de fois s'était-elle répété ces mots ? Des dizaines, des centaines... des milliers de fois ? Mais elle n'arrivait pas à passer à autre chose, car elle n'avait encore jamais rencontré quelqu'un qui à ses yeux puisse si ce n'est égaler tout du moins faire presque aussi bien que Sylphyus Senora.

Elle était donc perdue dans ses pensées, le regard vide fixant d'un air absent le cendrier sur le bureau de Westfield. Elle entendit donc comme venant de bien loin les paroles de son chef, mais elle les assimila malgré tout, question d'entraînement. Et puis, honte à elle si elle n'avait pas su se montrer attentive, car, quoi qu'il arrive, elle devait toujours se montrer attentive. Si ce n'était pas dans ses gênes, c'étaient au moins dans sa programmation... enfin, dans son éducation. Même à l'ouest, même agonisante, elle savait être attentive au monde qui l'entourait. Question de vie ou de mort, la plus grande majorité du temps.

Elle secoua légèrement la tête, sortant de sa rêverie, au moment où Westfield lui signifiait son congé. Elle hocha la tête pour indiquer qu'elle avait bien intégré tout ce qui s'était dit, puis se leva et fixa Westfield d'un regard digne d'un scanner durant plusieurs secondes. Elle chercha quelque chose à dire... Mais rien ne vint. Aussi, elle se contenta de :

- Bien. En ce qui me concerne, je suis bien sûr entièrement à votre disposition, tel est mon devoir.

Elle avait dit cela assez froidement, en insistant bien sur le mot "devoir", lui signifiant ainsi qu'elle sentait plus obligée envers lui que dévouée telle qu'elle l'avait été envers Senora.

- Dans ce cas, si vous n'attendez plus rien de moi pour l'instant, je vais vaquer à mes occupations.

*Relativement restreintes aujourd'hui puisqu'aucun contrat ne m'a été confié pour la journée.* songea-t-elle.

Lily attendait poliment que Westfield lui signifie son congé, mais il dût prendre un appel, et Lily croisa les bras sans dissimuler un brin d'impatience, malgré le regard d'excuse qu'il lui accorda. Et lorsqu'il eut terminé, la jeune femme s'attendait à ce qu'il lui dise qu'elle pouvait partir... Mais non ! Westfield semblait ailleurs. D'ailleurs... Il lui sembla que quelque chose avait changé dans son regard, bien qu'elle n'eut trop su dire quoi. En revanche, ce qu'elle pouvait dire, c'était que cela lui donnait un air plus séduisant encore, mais pourquoi... aucune idée. Finalement, il sembla sortir de sa rêverie et lui expliqua qu'il avait un rendez-vous. Prenant cela pour le congé qu'elle attendait tant, Lily hocha la tête et se dirigea vers la porte. Au moment où elle tendait le bras vers la poignée, la porte fut ouverte avec force et Lily évita de justesse de se la prendre dans la figure. Entrèrent alors un agent baraqué et à la face de bulldog entraînant un homme que Lily reconnût comme étant un dénommé Maximilien Clarke, agent de la Schya, et accessoirement dernier amant en date de Lily. Hé oui. Elle avait beau être toujours affectée par la mort du seul homme qu'elle ait jamais véritablement aimé, cela ne l'empêchait pas de prendre du bon temps... Sous ses airs stricts, Lily restait une bonne vivante.

D'ordinaire arborant un air fier et séduisant, Maximilien avait aujourd'hui l'air d'une pauvre chose tremblante et apeurée, comme un lapin qui viendrait de se faire prendre par les oreilles avant de se faire dépecer par un fermier. Lily le regarda d'un air de dégoût. Dieu, qu'elle détestait les faibles. Elle rougit légèrement de honte en pensant que la veille au soir seulement... bref pas la peine de vous faire un dessin.

*Pourquoi diable est-il là ?* songea-t-elle en fronçant les sourcils. *Et pourquoi a-t-il l'air si effrayé... oh oh !* se dit-elle en comprenant soudain de quoi il retournait.

Du coup, elle ne pensait même plus à partir. Lorsque Westfield prononça le mot "traître", les soupçons de Lily furent confirmés, et elle fronça encore plus les sourcils en affichant un moue de claire désapprobation tout en fusillant Max du regard. Par ailleurs, une étrange sensation commençait à monter en elle, mais elle n'arrivait pas encore à l'identifier. Elle secoua la tête et poussa un "tsss !" lorsque Max poussa un cri de frayeur. Pitoyable ! Cet homme n'avait vraiment pas l'étoffe d'un Schya. En revanche...

En revanche son nouveau boss lui semblait de plus en plus intéressant à mesure qu'il démontrait son autorité. Il lui sembla qu'il ne s'agissait plus de la même personne. Quelque chose l'animait, une certaine colère, une violence... Et ce n'était pas pour déplaire à la jeune femme. Elle avait beau être une éprise de liberté, Lily, dans toute la beauté du paradoxe qui faisait son être, était fascinée par l'autorité, par le pouvoir. Autant dire que l'opinion qu'elle se faisait de Samuel Westfield venait tout soudainement de virer de bord, et, alors qu'il s'avançait vers Max et lui écrasait la main, Lily sentit un frisson remonter le long de sa colonne vertébrale.

Elle ne prêtait plus aucune attention à Max, ce n'était plus qu'un pantin dans les mains du boss. Toute son attention était concentrée dans les actions de Westfield qu'elle suivait d'un oeil brillant.

Lorsqu'il saisit le bras de Max, le frisson atteint sa nuque.

*Hmmm...* songea-t-elle.

Lorsqu'il lui brisa le bras, elle se mordit la lèvre.

*Mon dieu...*

Lorsqu'il appuya son pied sur la gorge de sa victime, elle croisa les bras sur sa poitrine et bougea légèrement sur place, comme si quelque chose l'indisposait au niveau des jambes.

*C'est bon ça...*

Première détonation. Lily s'efforça de ne rien laisser transparaître sur son visage alors que dans sa tête :

*Encore !*

Deuxième détonation.

*T'arrête pas !!!*

Blanc. Le bulldog se vit donner l'ordre de débarrasser le plancher aux sens propre et figuré du terme. Samuel Westfield se tourna vers Lily et celle-ci le regarda avec des yeux brillants, ses joues légèrement rosies et sa bouche entr'ouverte. Il allait parler. Allait-il lui faire ravaler son insolence ? Lui faire comprendre qu'il ne tolèrerait plus un comportement pareil à son égard ? Lui...

- Heuuu...Désolé pour le sang sur tes vêtements...

WHAM ! Le visage de Lily s'empreignit de frustration et elle tira une tronche de trois mètres de long. Elle fronça fortement les sourcils, tira sèchement sur son tailleurs pour en effacer un pli imaginaire, fusilla une dernière fois Westfield du regard et, sans se donner la peine de lui répondre, tourna les talons et prit la porte qu'elle claqua violemment derrière elle.

*IMPUISSANT !!!*