Ne me force pas à renier le serment d'Hippocrate...

- Arrrrrrrrrgh !

Lily sursauta et s'écarta afin de laisser le passage à une jeune femme manifestement en proie à une terreur immense et qui semblait vouloir fuir le département de l'infirmerie à tout prix, courant à travers les couloirs en poussa des cris à percer les tympans. Lily retint un sourire amusé. Carter s'était encore "amusé" à terroriser un de ses patients. Quel phénomène, celui-là. Mais on lui passait tout, car il était le meilleur dans son domaine. Et puis, même si les membres de la Schya se devaient d'être irréprochables, on devait bien avouer que très peu d'entre eux l'étaient réellement. Après tout... il s'agissait de criminels. Certains s'offusquaient des agissement de Carter, pas Lily, elle le connaissait depuis suffisamment longtemps pour le respecter et faire abstraction de ses dérapages contrôlés, qui, tant qu'ils n'étaient pas dirigés contre elle, avaient d'ailleurs plutôt tendance à l'amuser.

Enfin, ce jour-là, ce n'était pas dans le but d'avoir une discussion amicale qu'elle se rendait au laboratoire de Carter. Non, la demoiselle avait une substance à faire analyser, quelque chose que l'on avait glissé dans son verre, mais qu'elle avait eut la chance de repérer avant de se laisser avoir. Ayant "convaincu" son opposant de boire à sa place, elle avait pu observer une réaction du sujet très intéressante et qui l'intéressait au plus au point puisqu'elle était elle-même une adepte de l'utilisation des poisons lors de ses missions. Aussi, elle souhaitait avoir l'aide de Carter afin qu'il retrouve la composition du poison et le recréé pour elle.

Arrivée devant la porte de son laboratoire, elle frappa une fois, et attendit qu'il lui dise d'entrer, sachant qu'il serait très mal avisé d'oser entrer sans en avoir l'autorisation.

Lily esquissa un sourire désabusé avant de passer toutes les protections nécessaires et de pousser la porte. Elle se sentait un peu ridicule avec ces lunettes qui lui donnaient un air de mouche de l'espace, mais elle ne s'en souciait pas tellement, préférant sacrifier son élégance légendaire au risque d'être la victime d'un malencontreux accident.

- Bonjour, Carter. Toujours d'aussi excellent humeur, à ce que je vois, dit-elle non sans humour.

Elle ne perdit pas de temps en formalités et tira de sa poche un petit récipient cylindrique hermétiquement fermé. Elle le brandit sous le nez de Carter et expliqua :

- On a voulu me faire avaler cela. Le produit a été dilué dans du champagne, j'en déduis que l'alcool n'a pas dessus d'effet neutralisant. Je n'en ai pas ingéré. En revanche, j'ai voulu le tester sur mon opposant - inutile de préciser que j'avais le dessus, bien évidemment. Sa réaction a été des plus étonnantes. Il s'est mit à décliner son identité complète, ses activités et diverses informations croustillantes, et ce sans que j'ai eu à poser la moindre question, ni même à prononcer le moindre mot. Cela m'intéresse vivement, et je souhaiterais que vous retrouviez les composants du produit afin de le recréer, car il me serait bien utile... Enfin, bien sûr, si cela ne vous dérange pas, et il ne faut pas que cela passe avant le travail qui vous aurait été donné par nos supérieurs. Rien ne presse. Mais si vous avez du temps libre, pensez à moi.

Un novice à la Schya aurait peut-être prit peur en voyant la réaction de Carter, mais Lily n'était pas une novice, et elle connaissait Carter, et quand bien même, il en fallait plus que cela pour l'impressionner. Elle attendit donc sagement que l'excitation de son collègue redescende, tout du moins qu'elle redescende suffisamment pour qu'il soit en état de lui faire part de sa découverte. Elle le regarda d'un air neutre qui dissimulait en réalité un certain amusement alors qu'il s'étalait en exclamations de quasi extase, puis répondit avec un admirable flegme aromatisé d'une pointe d'ironie :

- Au moins, j'aurais fait un heureux aujourd'hui.

Elle fit une pause, pour la forme, puis, lissant machinalement un pli imaginaire sur la jupe de son tailleur, reprit de ce ton à la fois flegmatique et ironique qui la caractérisait tant :

- Alors, qu'en est-il ? Quelle est donc cette formidable découverte ? Je sais que vous adorez vous faire désirer, mais malheureusement je ne vais pas avoir le temps de faire les groupies très longtemps, j'ai rendez-vous dans exactement cinquante-sept minutes.

Lily hocha la tête, faisant signe qu'elle comprenait bien ce que Carter était en train de lui expliquer, et également qu'elle approuvait au fait qu'il s'agissait d'une formidable - mais redoutable - découverte. Elle suivit de la tête les sauts de puces qu'il faisait, haussant un sourcil devant le comportement de Carter qui se rapprochait plus de celui d'un enfant excité à l'idée d'ouvrir ses cadeaux de Noël qu'à celui d'une renommé spécialiste. Mais cela faisait longtemps que cela ne la surprenait plus.

- Le palais présidentiel, hein ? Pour ce qu'il représente de nos jours, de toutes façons...

Elle replaça machinalement une mèche derrière son oreille et poursuivit :

- Est-ce que cela laisse des traces ? Est-ce facilement identifiable après utilisation ? C'est bien joli de s'emballer pour ce petit bijou, mais il ne faudrait pas qu'une fois utilisé cela permette à nos opposants de remonter jusqu'à nous.

Elle esquissa un petit sourire.

- Oui... Je suis exigeante en la matière, mais je devine que ce n'est pas une surprise pour vous mon cher Carter.

- Voilà qui est intéressant, dit Lily avec sincérité et gratifiant même Carter d'un sourire pour une fois dénué de toute ironie.

Une partie des dires de Carter lui firent en revanche froncer les sourcils alors qu'elle se remémorait sa rencontre avec le chef de la Synnefo, et elle songea que lui, peut-être, serait en mesure de passer les protections de la Schya, bien qu'elle esperât faire fausse route. Mais elle ne dit rien de ses pensées à son collègue, ayant décidé en parlant à Olivier Maxter de ne pas mélanger ce qu'il se passait durant son temps libre à son travail.

- Combien de temps pensez-vous que cela prendrait pour préparer un bon stock de cette petite merveille ? Comme je vous l'ai déjà dis, je ne suis pas pressée, mais il est vrai que le plus tôt serait le mieux, car cette splendeur me sera définitivement utile, et ce à plusieurs reprises, j'en suis persuadée.

Lily l'écouta respectueusement se plaindre du comportement de certains membres de la Schya, hochant la tête d'un air absent. En réalité, elle en profita pour se déconnecter un peu et réfléchir à toutes les possibilités que lui ouvrirait ce produit miraculeux, car, pour être franche, elle était un peu lasse de devoir subir les jérémiades incessantes de son collègue. Mais, bien sûr, par pur respect - et également par crainte de s'attirer ses foudres - elle se taisait.

- Certes, Carter, certes. Quelle bande de petits garnements, dit-elle sans cacher son éternelle ironie. Quant à votre petite merveille hé bien... Je vous serais grée de me faire signe dès que vous serez en mesure de m'en fournir une bonne petite réserve, j'imagine déjà l'emploi que je pourrais en faire, et j'avoue être plutôt emballée.

Elle eut un petit sourire rêveur et légèrement sadique.

- J'ai quelques comptes à régler.

Lily écarquilla les yeux et cilla plusieurs fois, complètement éberluée par ce qu'elle venait d'entendre. Elle essaya de clarifier son esprit, afin d'être sûre d'avoir bien entendu et bien compris ce que lui avait dit Carter... Pas de doute, elle n'était pas folle, il venait bien de faire référence à deux personnes qui étaient maintenant décédées depuis un bon bout de temps, et dont l'une d'elles n'était pas n'importe qui : l'ancien boss de la Schya en personne. Cela expliquait très certainement le petit pincement au coeur que la jeune femme ressentit durant quelques secondes. Car, en effet, cet homme avait beaucoup compté pour elle, et, lorsqu'il se fit assassiné, lui et Lily avaient tout juste commencé à développer une sorte de relation. Mais elle préféra chasser ceci de son esprit. Cela faisait plus de deux ans qu'il était mort, et elle devait passer à autre chose, ce que, malgré le fait qu'elle ne voulait pas le reconnaître, elle n'avait pas complètement fait.

Elle se racla la gorge et répondit d'un ton dégagé - quoiqu'un petit peu renfrogné :

- Revenez sur terre, Carter. Bradburry est mort il y a trois ans. Quand à... Senora, il nous a quitté il y a un peu plus de deux ans, lors de ce fameux incident entre Mavros et Schya, comme vous le dites. Quant aux comptes que j'ai à régler, bien sûr, jamais je ne me permettrais que cela se fasse au sein de la Schya. Non non, mes poissons ne sont pas des nôtres.

Lily secoua la tête, se sentait presque au bord de l'affliction, mais elle répondit calmement :

- Enfin, Carter, vous pensez bien que la Schya ne saurait se passer de dirigeant... Le second est temporairement à la tête de notre grande organisation, et étudie chaque dossier afin de sélectionner le meilleur parmi les meilleurs. Cela fait plus de deux ans que cela dure... Je soupçonne ce monsieur de ne pas y mettre suffisamment du sien dans ses recherches, si vous voyez ce que je veux dire.

Elle se renfrogna un peu, adoptant un air froid et digne, et tira machinalement sur des plis imaginaires de son tailleur avant de reprendre :

- Quant à votre curiosité intellectuelle, permettez-moi de vous répondre, avec tout le respect que je vous dois, qu'elle devra calmer ses ardeurs pour cette fois-ci.

Elle avait dit cela d'un ton peut-être un peu plus sec qu'elle ne l'aurait souhaité, mais Carter avait définitivement touché un point sensible, et même la glaciale Lily Roverandom était un être doué de sentiments, et par conséquent capable d'être ébranlé, ne serait-ce que de la façon la plus infinitésimale.

Lily leva les yeux au ciel. Elle aurait dû s'en douter... Carter était si susceptible. Heureusement, Lily était quelqu'un de plutôt patient... tout du moins, avec ses collègues. C'était là le grand mérite de Carter : c'était un Schya. S'il avait été extérieur à la société bien aimée de Lily, elle lui aurait très certainement fait comprendre diversement sa façon de penser. Elle croisa les bras, et répondit calmement mais fermement :

- Pourriez-vous m'expliquer en quoi je ne vous ai pas respecté ? Je vous ai simplement signifié que je n'étais pas disposée à satisfaire votre curiosité intellectuelle, comme vous le dites si bien, car cela relève de ma vie privée, et je ne souhaite pas m'étaler sur le sujet. Et puisque vous parlez de respect, hé bien, je vous demanderais de respecter mon choix.

Elle se rapprocha de lui, ignorant l'injecteur qui semblait démanger Carter, et reprit, d'une voix plus basse, mais dont le ton était monté d'un cran, en plantant ses yeux dans les siens :

- Et vous avez de la chance que je réagisse aussi calmement, étant donné le sujet...

Nulle besoin n'était d'en dire plus. Elle venait clairement d'avouer que le sujet lui tenait à coeur, et qu'il était particulièrement sensible chez elle. Elle recula à nouveau, et reprit plus posément :

- Je n'avais nullement l'intention de vous offenser. Enfin, Carter, vous me connaissez bien... Si je ne vous respectais pas, je crois que vous l'auriez compris depuis longtemps.

Lily savait bien que Carter était sincère, mais son visage resta néanmoins froid et fermé, et ce fut d'une voix très plate qu'elle répondit, évitant de croiser le regard de son collègue :

- Certes, certes, la fatigue a des conséquences indésirables.

Elle se contenta de ces courtes paroles, et resta de longues secondes silencieuses, fixant d'un air absent une fiole posée sur la table la plus proche d'elle. On pouvait sentir qu'il y avait, malgré les excuses de Carter, une certaine tension encore présente. Oh, en réalité, Lily ne lui en voulait pas. Mais elle était encore, disons, sous le choc des émotions qui avaient été soulevées en elle à l'évocation du sujet délicat qu'était celui de l'assassinat de Senora.

Elle s'efforça de ravaler ses états d'âmes. Carter semblait aussi mal en point qu'elle. Sans pour autant paraître réconfortante, elle reprit d'une voix un peu moins dure :

- Faites donc une pause, détendez-vous. Personne ne vous en voudra. Je dirais même, et que cela reste entre nous, que vous devriez en profiter tant qu'il est encore temps, car la rumeur court que nous allons bientôt à nouveau avoir quelqu'un à la tête de la Schya.

Lily leva les yeux au ciel. Ah ! sacré Carter. Il avait royalement ignoré sa remarque, elle aurait tout aussi bien fait de parler aux murs. Ce qui se passait en dehors de son labo lui importait peu, et pour lui, c'était toujours boulot, boulot et encore boulot. Elle préféra ne pas relever, et répondit :

- Carter, tête en l'air que vous êtes. Je vous ai dis il y a quelques minutes que le devoir m'appelait, je n'ai plus beaucoup de temps devant moi.

Elle se caressa le menton d'un air pensif, considérant la demande de son collègue. Elle n'aimait pas beaucoup jouer les cobayes, cela lui était déjà arrivé quelques fois, mais uniquement parce qu'elle en avait reçu l'ordre, que ce soit durant ses études, ou dans la vie active, mais elle ne s'était jamais proposée d'elle-même. Elle fit la moue et répondit, un peu gênée, mais sincèrement :

- Ecoutez, vous savez que je vous apprécie, n'est-ce pas. Mais être un sujet test... J'y suis déjà passé, et je n'en ai pas de très bons souvenirs. Mais comme vous êtes mon très estimé collègue... Bon, de toutes façons, comme je vous l'ai déjà dis, je n'ai pas le temps, maintenant. Alors voilà ce que je vous propose : préparez-moi une fiche récapitulative sur votre bébé, composition, effets attendus, indésirables, etc. J'y réfléchi et je vous donne ma réponse demain, cela vous convient-il ?

Lily prit la feuille et la parcouru rapidement du regard, mais ne s'attarda pas dans sa lecture car elle devait rapidement mettre les voiles. Elle hocha brièvement la tête et répondit un très bref "merci" avant de plier la feuille et de la ranger dans une poche intérieure de la veste de son tailleur.

- Je vais vous laisser, passez une bonne journée. Je réfléchis à tout cela, et je vous tiens au courant.

Elle le salua et quitta le laboratoire. Alors qu'elle se rendait sur les lieux où devait se dérouler sa prochaine mission, elle réfléchit à la proposition de Carter. Bon, elle n'aimait vraiment pas jouer les cobayes, mais elle ne se sentait pas le coeur de refuser cette faveur à son estimé collègue, de peur de le décevoir, d'une part, mais également de peur qu'il ne lui pique une de ses redoutables colères, d'autre part. Elle secoua la tête en souriant et marmonna un "sacré Carter !" alors qu'elle garait sa coccinelle devant le Sénat.

Lorsqu'elle rejoignit la Schya, avant même de prendre une douche - ce dont elle avait bien besoin car elle s'était faite aspergée de sang - elle contacta Carter par téléphone pour lui signifier son accord et lui dit qu'elle passerait le voir le lendemain.

Et, en effet, le lendemain, elle se présenta au laboratoire de Carter. Comme d'habitude, elle mit les protections et pénétra dans la pièce, saluant son collègue, lequel lui répondit :

- À dans 24 heures, Lily. Et merci de prendre en considération ma requête.

Lily se figea et fronça les sourcils, se demandant bien ce qui pouvait lui passer par la tête. Elle venait d'entrer dans son laboratoire, pas d'en sortir ! Elle ne se sentit pas particulièrement rassurée... Aurait dû l'être alors qu'elle s'apprêtait à tester un de ses produits alors qu'il semblait déconnecté de la réalité ?

- Hum... Tout va bien, Carter ? Je vous rappelle tout de même qu'on s'est vus il y a tout juste vingt-quatre heures et que je vous ai téléphoné hier pour vous dire que j'acceptais votre requête...