Encore lui ! [PV]

*Elle devrait être là... Elle y sera... Elle devrait être là...*

Voilà la litanie qui se déroulait dans l'esprit d'Artus depuis déjà vingt bonnes minutes. Il était assis au sommet d'un tas de caisses qui sentaient fortement le poisson. Il devait se pencher pour que sa tête ne cogne pas contre le plafond. Là-haut, il était caché dans l'ombre, mais pouvait avoir une bonne vue sur une grande partie du marché couvert. Et pour cause : il guettait l'arrivée de quelqu'un. Et par n'importe qui : cette jeune fille de la Schya sur laquelle il faisait une fixation. Cela n'avait rien à voir avec l'amour, ni même l'attirance physique. Il n'arrivait pas à s'expliquer pourquoi il se sentait tellement attaché à elle, mais en tous cas, il était sûr et certain que cela n'avait rien à voir avec cela.

En bon espion, Artus avait profité de son temps libre où il ne s'était pas vu confier de missions pour faire sa propre enquête. Et ses démarches l'avaient mené à découvrir que ce jour-là, Yumi Yoshinagawa se rendrait au marché couvert de la zone industrielle d'Ataxia. Artus avait longuement hésité. Yumi avait déjà mal réagit lorsqu'ils s'étaient croisés la dernière fois. Il craignait qu'elle pense qu'il soit en train de l'espionner... Minute, c'était exactement ce qu'il était en train de faire. Mais il ne pouvait renoncer à cette jeune fille. Il fallait qu'il la revoie. Il avait essayé de faire en sorte à ce qu'elle reprenne elle-même contact avec lui, mais rien. Et depuis plusieurs jours, il essayait de se débrouiller dans sa carte de la Synnefo. Si jamais on découvrait qu'il l'avait non pas perdue mais pire : donnée à quelqu'un d'autre, il risquait gros.

Ce jour là, Yumi avait dû se lever très tôt du matin, pour une nouvelle fois, jouer les coursiers. Ca lui pesait véritablement, elle n'était vraiment pas du matin, premièrement, et puis elle commençait à en avoir plus que marre de ces missions ridicules qu'on dégnait lui confier. A cet instant, Yumi désirait plus que tout au monde quitter Ataxia. La jeune fille avait toujours été quelque peu solitaire, mais là c'était pire que tout, et ses proches lui manquaient horriblement.

Après avoir rempli sa mission, elle décida de passer par le marché couvert, histoire de se changer un peu les idées, et pourquoi pas faire quelques courses, afin de cuisiner quelque chose qui pourrait s'avérer mangeable; elle avait très envie de s'essayer une nouvelle fois à la cuisine, même si elle savait pertinement que ce serait un désastre, comme à chacune de ses précédentes tentatives.

Elle se promena un moment entre les différentes rangées, achetant ça et là divers fruits, laissant voyager son regard de gauche à droite.
Si elle n'avait pas ressentit cette étrange oppression, tout ce serait bien passé. C'était une impression qu'elle connaissait bien, celle d'être épiée. Cela dit, comme elle se trouvait dans un endroit public, elle se dit qu'elle devenait complètement paranoïaque, et qu'il était normal d'avoir cet impression dans un endroit pareil, après tout, il n'était pas rare qu'elle attire le regard des passants.

Elle ne s'en formalisa donc pas plus que ça, et continua tranquillement à arpenter le marché de long en large.

Cela faisait si longtemps maintenant qu'Artus attendait, sans rien faire, sans même pouvoir se distraire sur son ordinateur, qu'il en aurait bien piqué du nez... Cela faisait, quoi, au moins une demie heure ! Atroce... Enfin, au moins, il était tranquille en haut de son tas de caisses : personne pour le voir, lui parler, ou établir le moindre contact humain, ce dont il avait horreur, avec lui. Mais dans ce cas, pourquoi cherchait-il justement à entrer en contact avec quelqu'un qu'il connaissait à peine ? Même pour lui, c'était mystère et boule de gomme. Il n'en avait aucune idée, mais ce dont il était sûr, c'était qu'il avait envie de voir cette jeune fille, de lui parler, de passer du temps avec elle, et, surtout, d'attirer son attention, de gagner son admiration et son respect. Vu comment les choses étaient parties, c'était pas gagné...

Soudain, son coeur fit un bond dans sa poitrine, et il se redressa si brusquement qu'il se cogna violemment la tête contre le plafond.

- Ouch ! gémit-il en se massant le crâne.

Il reporta son attention sur la foule, et paniqua une seconde en constatant qu'il avait perdu la piste de Yumi, qu'il avait aperçue juste avant de se cogner. Mais il la repéra à nouveau. Il entreprit alors de descendre de sa tour d'ivoire improvisée, tout en réfléchissant à un plan d'approche. Pouvait-il tout simplement aller vers elle et la saluer ? Ce n'était pas tellement son genre... Et puis, de toutes façons, il était bien trop timide. Il avait besoin d'un prétexte.

Il avançait dans son sillage à travers la foule tout en réfléchissant. Un prétexte, un prétexte... Tout à coup, son prétexte tomba du sac de Yumi et roula jusqu'à ses pieds : une tomate cerise s'était échappée de sa prison de plastique. Artus se baissa et ramassa la tomate, avant d'accélérer dans la direction de Yumi. Il lui tapa sur l'épaule pour attirer son attention, et lui tendit la tomate d'un air entendu.

Alors qu'elle marchait tranquillement, arpentant toujours les allées du marché, Yumi ne se rendit même pas compte qu'elle venait de perdre l'une de ses tomates. De toutes façons, ce n'était pas bien grave pour elle, et elle aurait continué son chemin si quelqu'un ne lui avait pas tapé sur l'épaule pour la prévenir de sa perte.

Se demandant qui pouvait bien être cet importun et ce qu'il pouvait bien lui vouloir alors qu'elle n'était même pas en service, enfin plus maintenant, elle se tourna avec une lassitude non feinte.
Quelle ne fût pas sa surprise quand elle reconnut les traîts d'Artus, ce jeune homme bizarre qui n'arrêtait pas de la suivre pour une raison inconnue de tous.

A son grand étonnement, il lui tendait une tomate. Plus que perplexe, il lui fallut un moment pour comprendre que la tomate pouvait provenir de son propre sac. Elle y jeta un coup d'oeil, et remarqua qu'elle venait effectivement de là.
Il était hors de question qu'elle touche un aliment qui venait de tomber par terre, sur un sol foulé par une mutlitude de personnes. Et ne lui tendit donc pas la main pour qu'il la lui rende.

Yumi se rappela soudain qu'à leur dernière rencontre, elle avait tout bonnement envoyé le jeune homme à l'hôpital. Elle l'examina un moment, et remarqua avec soulagement que tout semblait aller pour le mieux, du moins par rapport à la dernière fois qu'elle l'avait vu.
Cela dit, elle ne prit pas non plus la peine de lui demander comment il allait.

Se rappelant qu'elle avait toujours son pass, son plan de se servir de lui était aussi resté intacte, d'ailleurs elle n'avait même pas eût besoin de partir à sa recherche, il l'avait retrouvé tout seul.
Mettant son plan à exécution, elle lui servit son sourire le plus mignon possible, celui destiné à embobiner tout le monde, et dit simplement :

- Merci, mais tu peux la jeter.

Après quoi elle farfouilla dans son sac, et mit la main sur le pass du jeune homme, à qui elle le tendit.

- Fais plus attention la prochaine fois, dit-elle d'un ton qui se voulait faussement et adorablement accusateur, comme celui d'une petite fille qui gronderait un de ses aînés.

Le sourire qui lui adressa Yumi fit monter un frisson le long de la colonne vertébrale d'Artus. Elle avait vraiment le don d'éveiller en lui d'étrange sentiments. Pourtant, cela n'avait rien à voir avec de l'amour ni même de l'attirance physique. Il ne comprenait pas plus que nous ce qu'il se passait en lui mais il y avait bien une chose qui était claire : il n'était pas amoureux. Attaché, de façon inexplicable, mais pas amoureux. Néanmoins, ce sourire avait déchaîné une petite nuée de papillons dans son estomac. Il fut toutefois déçu de ce qu'elle lui dit. Pas un bonjour. Elle n'avait même pas demandé s'il s'était bien remis de ses blessures. Décidément, arriverait-il un jour à la faire s'intéresser à lui ?

Elle lui rendit ensuite son pass en lui conseillant d'être plus prudent. Cela n'avait rien eu d'une maladresse. Il haussa les yeux au ciel. Il l'avait lui-même lancé à son intention. Ne l'avait-elle pas remarqué ? Ou bien le faisait-elle exprès ? Il n'arrivait pas à la cerner.

Il fronça les sourcils pour marquer son mécontentement. N'était-ce qu'une impression ou cette fille lui marchait-elle réellement sur les pieds ? Il croisa les bras, gardant toujours cette mine renfrognée, ce qui donnait un tableau assez amusant, car Yumi s'amusait elle-même à adopter des mimiques de mignonne petite fille, et, en face d'elle, Artus avait lui-même l'air d'un petit garçon boudeur.

Il choppa son badge d'un geste sec, claquant presque la main de la jeune fille au passage. Ce faisant, il réfléchissait à ce qu'il pourrait bien lui dire pour engager la conversation et faire en sorte qu'elle dure.

- Baaaaaaaaaah...

Excellent début, vraiment. On dirait une chèvre.

- C'était exprès, marmonna-t-il.

Yumi guetta une réponse quelconque de son interlocuteur, mais celle-ci, comme d'habitude, mit un temps fou à arriver.
Alors que la jeune fille ne savait pas le moins du monde pourquoi, Artus fit la moue, et lui reprit son badge d'une façon pour le moins brutale. Déjà Yumi perdit patience, elle aurait très bien pût s'en servir à des fins malhonnêtes, mais il n'en était rien, Artus devait donc s'estimer heureux selon elle.

Alors que la réponse attendue avait été plus que tardive, la jeune fille qui perdait vraiment patience se demandait si Artus était bien normal, non c'était certain, et bien qu'elle ne fût pas médecin, elle songea sérieusement à appeler un hôpital psychiatrique pour leur signaler qu'un cas traînait dans la nature. Se demander pourquoi il fallait que ce soit quelqu'un de ce genre qui ce soit entiché d'elle lui tapait clairement sur les nerfs. Elle cessa donc.

Artus lui apprit enfin qu'il avait fait exprès de faire tomber son badge, enfin apprit est bien grand mot, disons qu'il l'avait just exprimer clairement. Evidemment elle s'en doutait, il faut être fou (et plus que ce que l'était déjà Artus à ses yeux) pour balancer son badge, prouvant l'appartenance à une organisation criminelle dans la foule.
Elle tenait bien à lui prouver qu'elle n'était pas une parfaite idiot.

- Je sais, lâcha-t-elle sèchement.

Plus sèchement qu'elle ne l'avait voulu cependant. Elle se radoucit quelque peu avant de continuer :

- Mais en l'ayant lancer comme ça, quelqu'un d'autre que moi aurait pût le ramasser ou bien, j'aurais tout simplement pût être mal intentionnée...

En disant cela, elle soulignait bien le fait qu'elle n'avait pas mal agit, et que selon toute logique, il lui était plus ou moins redevable.
Son sourire refit aussitôt surface, elle se doutait que si elle devait le manipuler, ce serait avec le sourire pour le mettre en confiance, et pas en faisant la tête, comme à son habitude, voilà qui n'allait pas être facile.

Artus sentit la honte lui monter aux joues malgré lui. Se faire rabrouer ainsi par cette fille qui était plus jeune que lui... D'un autre côté, il l'avait bien cherché. Non seulement elle avait raison mais en plus... Quel était ce sentiment étrange qui l'envahissait alors qu'il se faisait ainsi faire la leçon ? Il se sentait comme un petit garçon ayant fait une bêtise et se faisant remettre les pendules à l'heure par... sa mère ? Il plongea furtivement son regard dans celui de la jeune fille et sentit une certaine chaleur dans sa poitrine. Quelque chose se clarifiait très, très lentement en lui. Il n'arrivait pas encore bien à l'identifier, mais il lui semblait soudainement que l'obsession qu'il avait pour Yumi se faisait un chouya plus compréhensible.

Il croisa les mains dans le dos, baissa les yeux - ce qui ne changeait pas grand chose à d'habitude puisqu'il était considérablement plus grand que Yumi - et se balança un peu sur ses pieds, gêné... Exactement comme un enfant pris en faute. D'ordinaire, il ne supportait pas de prendre cette attitude face à quelqu'un, car même s'il était extrêmement timide il n'aimait pas se voir rabaissé. Mais avec Yumi, c'était bien différent. Elle avait quelque chose dans son regard qui lui évoquait une autorité toute naturelle à laquelle il n'avait d'autre choix que de se soumettre, et bien volontiers, d'ailleurs.

- Hmm hmm... marmonna-t-il d'un air boudeur, piétinant le sol d'un pied comme quelqu'un qui écrase une cigarette. Hmm hmm...

Malgré tout, elle souriait. Rassurante, comme une mère, elle ne lui en voulait pas d'avoir été maladroit. Elle n'avait pas non plus l'air de vouloir se débarrasser de lui, contrairement à quelques minutes plus tôt. Serait-elle dans de meilleures dispositions ? Touché - et sans même ne serait-ce que penser qu'il était en train de se faire manipuler - Artus décida de montrer à la jeune fille qu'il souhaitait faire des efforts pour elle. Son visage se crispa, comme sous le coup d'une soudaine douleur qu'il tenterait de réprimer. Et, peu à peu, lentement, un sourire vint étirer ses lèvres. Mais quel sourire... Figé, froid, et crispé, comme quelqu'un qui n'avait jamais, au grand jamais, sourit, et qui ne savait pas comment s'y prendre. Ce sourire faisait bien plus peur qu'il n'était confortant.